LES POESIES COURTES DU JAPON
Par Jacques Barret. (Croth, Eure.)
Ce petit texte était au départ un article destiné au journal interne du club d'informatique de Croth. Mon ami Patrick a souhaité l'insérer dans son site.

 

Il est excessivement difficile de traduire et de transposer la poésie d'Extrême-Orient, tant nos cultures divergent.
En Chine et au Japon, l'écriture, (la calligraphie), est un art que l'on étudie longuement.
Le fait d'écrire avec un pinceau interdit pratiquement toute retouche : le calligraphe acquiert ainsi une telle dextérité
qu'il devient tout naturellement un dessinateur précis, si bien que les lettrés pratiquent peinture et poésie de façon très liée.
Un poème devient un petit tableau, et un texte est fréquemment inclus dans une estampe.
Le tout est toujours très délicat et très léger.
La Nature est souvent présente, alors que, par discrétion, les sentiments intimes sont sous-entendus plutôt qu'affichés. 

Le TANKA, le HAÏKU et le RENGA sont trois types de poèmes courts au Japon, les deux derniers étant directement issus du premier. 

Le HAÏKU étant le plus répandu, je commence par lui : 

Il s’agit d’un petit poème non rimé de 17 syllabes phoniques réparties en trois vers de 5+7+5 pieds. Le haïku suggère, plus qu'il ne décrit, un instant ou une émotion fugace. Jusqu’ici c’est très simple, mais les Japonais aiment bien compliquer les choses. Alors ils ont ajouté quelques règles pour pimenter le jeu : 

1. Le Haïku comporte presque toujours un mot ou une allusion à la saison.

Exemple : "il fait chaud" signifie que nous sommes en été... mais attention, voilà déjà trois syllabes d'utilisées sur les dix-sept ! 

2. Les thèmes amoureux ne sont presque jamais abordés, et réservés aux Tanka, que nous verrons un peu plus loin. 

3. Pas obligatoire, mais très recommandé : un mot de césure, sous forme d'interjection, en cours de poème, généralement au début du 2ème vers.
Et ça fait encore une syllabe en moins : Aïe ! 

4. Appréciés, mais sans en abuser : certains types de jeux de mots basés sur des assonances,
comme par exemple: le train...l'étreint, ou effroi...j'ai froid, mais pas en bout de vers (ce ne sont pas des rimes). 

5. En dernier lieu, il n'est pas rare de terminer un haïku par l'interjection "kana", qui ne signifie rien de très précis, histoire de se priver de deux nouvelles syllabes !

(comment traduire ce mot ?… on peut essayer voilà!, hélas!, ou déjà!…) 

Le haïku connaît beaucoup de succès dans le monde entier. C'est une forme de jeu poétique qui apparaît faussement facile à aborder. En réalité, l'esprit japonais est tellement spécifique et léger (dans le sens de l'élégance) que les haïku occidentaux ne sont que de vagues imitations pâlichonnes très éloignées des originaux. Nous appréhendons mieux le senryu, qui est, pour simplifier, un haïku satirique, volontiers grivois et destiné à faire rire ou sourire. 

Depuis quelque temps, en outre, de nombreux haïkistes occidentaux ont décidé qu'il était inutile de suivre les règles ci-dessus énoncées, et que le "poème" doit être tout simplement le plus court possible. Cette simplification, que je juge tout à fait dommageable, entraîne beaucoup de gens à présenter sur Internet des phrases à prétention poétique, qui sont la plupart du temps, à mes yeux, pompeuses et prétentieuses, donc à l'opposé du jeu léger et très utilement codifié des Japonais. 

J'ai donc personnellement décidé d'oublier ces facilités, et, bien que tout à fait conscient de la médiocrité de mes petits écrits, je m'en tiens aux préceptes recommandés par Maurice Coyaud et par Philippe Costa dans les livres que je cite à la fin de ce texte. 

 

Bien ! Après la théorie, passons aux exemples de quelques maîtres du haïku, et tout d'abord à celui qui en a établi les bases, et son haïku culte: 

de BASHÔ (XVIIème siècle) Vieille mare, Ah!

Une grenouille a sauté

Plouf! Le bruit de l'eau..

Cette version est très lourde par rapport au texte original: une traduction plus fidèle serait: .

Vieille mare

Grenouille saute

Bruit de l'eau

Cette deuxième traduction est beaucoup plus jolie, mais elle ne respecte pas le rythme 5+7+5…

 

de BUSON (XVIIIème siècle) Grosse neige, aïe!

Et la nuit s'approfondit.

Village sans cloche.

 

de RITÔ Sumotoris nus,

Tous couchés en rang d'oignons,

Dormant. Il fait chaud.

 

En voici quelques autres," à la française":

 

Soir de solitude.

Le cri du coucou au loin.

Lune de printemps.

 

La rose est en fleur,

Un puceron s'en nourrit :

Alors, je l'arrose. 

(J.B.)

 

Traversant le rêve

Du vieux cerisier en fleurs

Passe un chat tout blanc

(Philippe Caquant)

 

…et même, gentiment gaulois :

 

Sur le tronc du chêne

Troussant le jupon des feuilles

La main du soleil

(Jacques Ferlay) 

Un petit conseil: ne lisez jamais beaucoup de haïku à la suite les uns des autres. Prenez votre temps ! Dégustez lentement et méditez comme un vieux sage… la beauté de la poésie est en vous. 

 

 

 

Après avoir examiné rapidement le HAÏKU, abordons maintenant d'autres formes de la poésie courte japonaise. Et tout d'abord le TANKA, qui en est la base :

Il s'agit d'un poème non rimé de 31 syllabes, réparties en 5 vers de 5+7+5+7+7 pieds.

 

C'est plus tard qu'on en a tiré les trois premiers vers, devenus le haïku. Et cette forme écourtée a obtenu plus de succès que son "grand" frère. Toutefois, le tanka reste la forme privilégiée pour les poèmes d'amour.

Puisque vous êtes amoureux, n'hésitez pas, et risquez-vous :

 

de MANYOSHÛ L'hortensia fleurit

De ses huit mille pétales :

Ainsi puisses-tu

Ah ! T'épanouir comme lui

Dans les années à venir.

 

Et, à la française:

Vois! Notre enfant dort

Entre peluche et pantin.

Ce soir est à nous.

Mon amour, viens près du feu :

Reflets d'or dans tes cheveux.

 

Ah ! Attention, là : les rimes sont très mal vues. Quand une vous échappe, voyez s'il ne serait pas possible de l'éviter. Autant le rappel "enfant dort, reflets d'or" est accepté, autant la rime "près du feu…dans tes cheveux" sera critiquée. Ce n'est pas ma faute si ma femme est blonde, mais j'aurais peut-être mieux fait de mentir et d'écrire :

Reflets d'or dans tes yeux verts…

 

…Mais l'amour n'est pas le seul sujet d'un tanka:

 

La neige est tombée

Cette nuit, et les oiseaux,

Cherchant leur pitance,

N'ont pas laissé une boule

Sur le petit néflier.

 

 

 

Enfin, pour terminer, le troisième de la famille des poésies courtes : le RENGA.

 

Il s'agit d'une poésie de longueur très variable, puisque composée de tanka et/ou de haïku juxtaposés (ou même des deux derniers septains du tanka). C'est le plus souvent un jeu réalisé à plusieurs au cours d'une "séance de renga": 

Sur un thème convenu au départ, le premier participant écrit la première strophe, puis chacun des autres enchaîne à son tour. Seule règle particulière au renga: Il est interdit de mentionner des végétaux dans plus de deux strophes à la suite. 

Voici un petit exemple de renga : 

Quatorze juillet:

Deux pétards ont éclaté

Dans la boite à lettres.

La pauvre ! Il n'en est resté

Que quatre morceaux tordus,

Nota :

Ces deux "strophes" sont trop occidentales, et riment. A vous de les modifier dans le sens de la simplicité !

 

 

 

 

Et j'ai dû les ramasser

Jusqu'au milieu de la rue.

Depuis, chaque année

Je la démonte et la range Avant les flambeaux

Et les enfants du village

Ne la démoliront plus! Cette dernière forme de "jeu poétique" en commun (en réseau ?) parait tout à fait adaptée aux internautes. Si vous désirez en savoir plus sur la poésie courte japonaise, je vous recommande quelques livres qui m'ont beaucoup servi à écrire ce texte, et dont j'ai tiré les principaux exemples: 

TANKA, HAÏKU, RENGA de Maurice Coyaud, Editions "Les belles lettres" PETIT MANUEL POUR ECRIRE DES HAÏKU, de Philippe Costa, Editions Philippe Picquier HAÏKU, (texte français de Roger Munier), Editions Fayard 

LES 99 HAÏKU DE RYÔKAN, traduction J.Titus-Carmel, Editions Verdier Merci à tous… 

 

 

 

…Et maintenant, allez voir à la page suivante ce que c'est qu'un haïku !

 

Haïku de SHIKI ( 1866 – 1902 ) tiré du livre de Maurice Coyaud 

 

Par le voyageur

Une azalée est cueillie.. Sentier de montagne

 

TRADUCTION PHONETIQUE Tabibitoni Tsutsuji hiki nuku

Yamaji kana

©2023 Patrick Pochon